Indignation

samedi 3 janvier 2015
par  Sylvain
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Jeune, Markus était un enfant sage, qui aidait son père à la boucherie. Non que ce soit un plaisir pour lui de vider les poulets ou d’aller porter les paquets chez les clientes (même les plus acariâtres), mais cela lui avait appris que ce qui doit être fait doit être fait.

Plus tard, Markus est devenu un jeune homme brillant à l’école, appliquant cette doctrine avec sérieux et devenant de ce fait, el major de sa promo. Mais ce sérieux ne lui laissait que peu de temps pour les sorties, et Markus n’était pas un jeune homme que ses parents auraient qualifié de sociable. Ce n’était pas pour leur déplaire, d’ailleurs, surtout à son père, parce qu’il est nécessaire de faire attention et de toujours rester concentré sur l’essentiel, sans prendre de risques.

Quand Markus est allé à l’Université, la pression de son père est devenue insupportable pour Markus. Alors que Markus souhaitait étudier afin de sortir major de sa promo, et surtout, d’éviter d’être enrôlé pour la guerre de Corée, ou tant de jeunes américains perdaient la vie dans des circonstances affreuses, le ventre ouvert par les baïonnettes de hordes de Coréens, cette pression inutile pour qu’il se concentre sur l’essentiel lui pesait au point que Markus partit pour un université du centre des USA.

Une université conservatrice. Ou il fût certes bien reçu, ou il connût l’amour (en la pratique d’une fellation pratiquée par une de ses condisciples), mais ou surtout, on lui imposât un cadre de vie trop étriqué pour son envie de liberté.

Et il s’indignât.

Et il dût quitter cette université, fût enrôlé pour la Corée.

Et mourut, dans l’année de ses 20 ans.


Commentaires

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mardi 20 janvier 2015 à 00h04 - par  Sylvain

Gasp.

J’avais déjà eu cette impression de minusculité à la lecture de “La contrevie”, et cette fois encore, cela a recommencé.

Cela a recommencé car on ne peut que se sentir ainsi devant un opus de cette qualité.

Avec une histoire simple, la rebellion d’un adolescent qui cherche à vivre sa vie comme il l’entend, Philippe Roth illustre à merveille la cruauté de la société Américaine, son conservatisme, et la difficulté à s’extraire de son passé.

Le héros est un jeune homme “bien élevé”, au sens ou il a des valeurs positives et qu’il cherche, par le travail, à s’élever dans la société. A réussir. L’archétype du mythe Américain.

Mais il pense, et cette pensée l’amène à l’outrage, c’est à dire à mettre en cause à la fois la foi de ses pères et la foi tout court, au nom d’un athéisme construit et désiré. Au point de refuser la participation hebdomadaire aux offices imposés par l’Université, et partant, se heurter au conservatisme local préférant une hypocrite participation aux offices à cet affichage de la libre pensée (tu ne mentiras point…).

Et d’en arriver à la rupture avec l’université, qui le renvoit malgré la qualité de ses résultats scolaires…

C’est là que se joue l’acte II.

L’Amérique fait la guerre (Corée, à cette époque), mais ne prends pas le risque de tuer ses élites. Une carrte d’étudiant évite la conscription, et le risqué (élevé) de se voir trucidé à l’arme blanche par des hordes de guerriers chargeant au nom de ce qu’ils pensent (les sots) être la liberté.

Mais les rebelles, les non étudiants, n’ont pas cette chance, ils sont autre chose, de la chair à canon dont la disparition est “acceptable” (on n’ira pas dire “souhaitable”, mais c’est pour rester poli).

Et donc ce jeune homme qui a tout pour réussir, mais qui souhaite choisir son chemin, se retrouve in fine dans une impasse, un aller simple vers une mort héroïque pour defendre les “valeurs” de liberté de son pays.

Atroce.

Atroce, mais qui illustre tellement bien ce qu’on peut percevoir (d’ici) de la société Américaine des années 50, de ses difficulties à abandonner les armes et les religions, à intégrer les Noirs et les Hispaniques, une machine à créer une pensée commune, à coup de COCA, de Jeans et de Harley-Davidson. Et de crucifix.

De la même façon, l’opus illustre la difficulté à sortir de son histoire personnelle, à ne plus “être Juif” si l’on nait dans la famille d’un boucher Casher, la difficulté à nouer des relations avec une femme différente.

C’est finalement une demonstration de la vacuité opérationnelle de la théorie philosophique de Sartre, une demonstration que le libre arbitre, s’il est toujours possible, n’est pas forcément pertinent. Que s’il reste vrai qu’on est ce qu’on fait, quand faire entraine la mort (ou l’exclusion sociale), la pression est trop forte, n’a plus de sens (en tout cas plus le sens que Sartre lui donne dans "Les chemins de la Liberté").

Une demonstration, en fait, des limites de la “liberté”.

Et en plus, ça se lit avec facilité, c’est bien écrit et très bien traduit.

Dieu quel plaisir.

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