J’ai eu la chance de lire à très peu d’intervalles deux opus que tout oppose, mais qui traitent du même sujet : culture et vie sociale.
L’un des deux, L’origine de la tristesse le fait "vue d’en bas". Pas de culture, pas de moyen d’accès à cette culture, mais une vie qui bouillonne. De l’émotion simple.
L’autre, celui-ci, le traite d’une façon totalement opposée.
Dans le style tout d’abord. On sent bien que M. Barbery a du potasser quelques livres avant d’écrire celui-ci. Que ses références sont solides. Qu’elle est l’archétype de l’élite intellectuelle française. Normalienne. Ce n’est pas un défaut, personnellement, cela me rend admiratif. Surtout quand cela permet de mettre à la fois tant de vocabulaire et de grammaire, tant de subtilité et de référence, en si peu de pages.
Dans l’histoire, ensuite. D’un côté un adolescent qui finit de se dégoutter du monde en en découvrant la dureté, mais aussi les probables plaisirs. De l’autre deux personnages hors du commun, mais dont l’intelligence est tellement acérée qu’elle en devient gênante. Gênante car une telle culture est socialement impossible soit dans une concierge, soit dans une gamine de 12 ans. Et que donc il faut cacher pour survivre. Vivre en soi, ou vivre en loge (est-ce un sous-entendu de M. Barbery ? ou un lapsus ?).
Et finalement dans l’essence même du contenu. P. Ramos nous dit que cette vie d’en bas n’est pas vivable. Mais que des gens la vivent. C’est cruel mais réel.
M. Barbery est plus insidieuse. Elle nous dit que l’intelligence ne mérite pas la vie de concierge. Ce n’est pas "humain", au sens ou nous sommes un animal qui se dégage de sa vie sauvage. Gentil pour les concierges qui ne lisent pas de philo.
Un point commun néanmoins, entre ces deux livres : les blessures de l’enfance sont les plus dures à supporter. Que ce soit la mort d’un ami, d’une sœur ou la désespérante impression de ne pas être ce que vos proches recherchent, c’est cela qui nous façonne.
Finalement, j’hésite. Ce livre est sans aucune hésitation un réel plaisir à lire. Style, références, histoire : c’est léger et enlevé avec une profondeur qu’on ne trouve que rarement. Mais, pour paraphraser le titre, j’aurais envie de dire que ce livre a aussi "l’inélégance de la réussite".
Car c’est bien finalement "vu d’en haut", que ce livre est écrit. Vu pas forcément de la richesse terrestre, mais au moins de l’accès à la plus rare des ressources : l’intelligence. Il ne reste qu’une question, à la fin : que fait-on des idiots, on les mets aussi sous les camions de livraison du pressing, comme les concierges qui sortent de leur rôle ?
C’est un avis probablement injuste, mais même cette fin m’a interloqué. Après un livre qui finalement se moque des puissants, des "usages" voulant que l’on reproduise sans questionnement les valeurs qui dominent, qu’il soit nécessaire de s’ouvrir au monde (intervention du Japonais) pour se rendre heureux dans cette Europe guindée et coincée par ses castes, on pourrait retenir que l’accès au bonheur est interdit en cas de rébellion, même individuelle. Et cela m’est insupportable. Mais c’est un livre compliqué, en fait, alors je n’ai peut-être rien compris.
En tout cas, j’essayerais les autres livres de Mme Barbery.
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