J’ai lu la Bible il y a quelques années. L’Ancien Testament est d’une lecture aisée, alternant (ou mélangeant) l’exposé de mythes allégoriques et l’histoire d’un peuple, ou du moins ce que la tradition en retient sur presque un millénaire. Il est probable que si nous refaisions maintenant l’exercice de formaliser ce qui nous unit, nous Européens, on verrait surgir dans notre imaginaire des personnages comme Jesus, César et Charlemagne. Et des périodes de malédictions portées par Napoléon et d’autres personnages historiques peu recommandables.
Il s’agit donc d’un texte simple, formalisant une vision (certes un peu dépassée) d’un vivre ensemble qui reste encore accepté (et appliqué) par beaucoup d’entre nous.
Le Nouveau Testament, par contre, est bien plus complexe. Car il est suffisamment proche pour être un livre de mémoire, et non de mythes, sur la parole d’un homme qui s’est présenté comme le fils de Dieu et le fils de l’Homme (ce qui est quand même autre chose que d’être uniquement le détenteur d’une part minime de savoir Divin volé par un Titan). Sa forme, parfois un peu naïve et parfois très profonde (voire impénétrable, comme qui dirait) en rends la lecture peu agréable, voire carrément rebutante.
Cette forme est d’ailleurs surprenante, car à cette époque, les philosophes Grecs ont écrit des livres merveilleux, et ont su faire passer leurs pensées, souvent révolutionnaire pour le commun des mortels de l’époque, tant par des exposés savants que par des écrits imagés. Mais le fond est par contre le résultat évident de la confrontation d’une culture Grecque, éprise de connaissance, de savoir et d’élévation intellectuelle qui se veut à l’égal des Dieux, et d’une culture hébraïque plaçant un peuple dans une relation privilégiée avec un seul Dieu. Il fallait donc, à l’instar des Héros, que naisse un personnage portant dur terre la parole et la sagesse Du Dieu unique, et que cette parole porte en elle un message d’universalité.
La surprise est finalement que cette parole soit devenue réellement universelle. Qu’elle ait dépassé, portée par d’autres que Jésus, son aura naturelle. Aujourd’hui, on dirait qu’elle ait été ReTwittée beaucoup et longtemps, et que le nombre de Like se compte en milliards.
C’est là qu’est l’intérêt de ce livre, et de la démarche de l’auteur.
Car on trouve des écrits sur les religions (philosophiques et sociologiques), des écrits historiques de cette période, des écrits religieux analysant, décortiquant le message du Christ tout en présentant sa vie avec une grandiloquence souvent amusante. Mais on ne trouve pas réellement de roman (au sens de la geste du moyen-âge) retraçant de façon crédible les pérégrinations des principaux protagonistes de cette période, leur vies et leurs interactions, entre eux, et entre eux et le monde.
Et c’est justement ce que fait, avec intelligence, M. Carrère dans cet opus, un opus présentant clairement ce qu’on peut retenir et comprendre de la naissance du Christianisme, écrit par un "honnête" homme, dans l’acceptation de honnête retenue du temps de Montaigne. Quelqu’un qui se pose la question, la résout du mieux qu’il peut, et donne à voir le résultat sous une forme qui soit compréhensible et agréable.
Avec intelligence d’abord car il ne parle que très peu de la vie de Jesus. Ce qui permet d’éviter le courroux de l’Eglise, ou d’être taxé d’affabulations par les non croyants. Le message de Jesus (celui que les historiens cités attribuent réellement à Jesus) est néanmoins présenté.
Mais aussi parce qu’il nous raconte une histoire crédible, étayée par des faits, de la vie de Paul, Pierre et Luc (puis Jean à la fin de l’opus). Des personnages somme toute normaux, voire simples, qui ont mis un monde en branle (ce qui illustre d’ailleurs que les derniers seront les premiers).
Qu’il ose des parallèles avec des expériences récentes d’endoctrinements, notamment Lénine, Staline et Trotsky, qui démontrent, pour peu qu’on en accepte l’idée, que les ressorts humains ont peu changés en 2000 ans.
Et qu’en plus, il fasse tout cela avec humour, et, en tant qu’écrivain confirmé sachant qu’on attire pas le lecteur uniquement avec des trucs sérieux, quelques petits ajouts osés qui en rendent la lecture plus croustillante.
Et surtout, qu’il place ce livre dans un contexte que nous sommes beaucoup à rencontrer : avoir eu la foi, et l’avoir perdue (ou ne jamais l’avoir), est-ce grave ? Et plus généralement, quelle est l’étendue réelle du Royaume de Dieu, est-elle limitée à ceux pratiquant l’Eucharistie (comme eux-même le pensent) ?
Le livre ne prends aucunement partie sur l’intérêt de la religion en général, et du Christianisme en particulier. Il met en évidence le rôle qu’ont tenus Paul, Luc et Jean dans la création et le développement de cette religion.
Ce qui fait la force de l’auteur, c’est de parler pendant 600 pages de religion, sans en faire un drame, en ayant précisé (longuement) en introduction quel est son rapport au fait religieux, et quelle est sur ce sujet sa propre histoire.
Je vous le confesse, j’ai aimé cet ouvrage, alors que je suis profondément athée, et j’aimerai maintenant le compléter par une analyse sociologique de ce fait religieux.
Il y a quand même un mais.
600 pages, c’est long, 400 eurent probablement suffit à l’exercice, et rendu la lecture plus accessible (600 pages, c’est un peu comme se lancer à l’assaut du Mont-Blanc, il faut de la préparation et une équipe de secours prête à partir). Mais ne vous laissez pas impressionner, tout le monde peut gravir le Mont-Blanc.
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