Certaines n’avaient jamais vu la mer
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Nous étions parties, par delà la mer, retrouver des maris que nous ne connaissions pas. Certaines, trop jeunes, étaient encore nubiles, mais ne trouvaient plus à se nourrir, d’autres souhaitaient fuir un passé qui faisait d’elles des réprouvées, la plupart étaient seulement trop pauvres pour continuer à vivre, et les marieuses avaient donné de belles sommes d’argent pour nos âmes et nos corps.
La traversée fût éprouvante, certaines y trouvèrent l’amour d’un marin, vite oublié, les autres le mal de mer, la crasse, et l’attente angoissée de la vie future, regardant sans cesse la photo de ce mari qui nous attendait.
L’arrivée fût pire : les maris avaient vieilli depuis les photos envoyées, mais leur vigueur était intacte, toute cette nuit de noce passée dans des hôtels miteux. Pour découvrir que personne, en fait ne nous attendais.
Alors nous devînmes des ombres, sérieuses, travailleuses, dans les champs ou les maisons des américains. Leurs femmes nous appréciaient, car nous étions propres et efficace, leurs maris aussi, car nous apportions une touche d’exotisme à leur sexualité. Mais jamais nous n’avons été acceptées. Ni nous, ni nos enfants.
Puis arriva la guerre. Et la honte d’être l’ennemi, la crainte que nous ne fussions installé que pour servir de guide et de repère à des hordes de kamikaze. Nos hommes disparaissaient, parfois, dénoncés comme agent infiltré, puis l’ordre de déportation arrivé. Et ce que nous avions construit par une vie de labeur, nos champs de fraises, nos épiceries, nous magasins, restaurants, nos relations, nos amants, nos familles dont les cendres reposaient dans les lieux sacrés, tout disparût.
Un an après, nous étions oubliés de ces lieux ou nous avions vécu. Au loin, il se disait que des villes japonaises étaient sorties du désert.
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